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mercredi 26 janvier 2011

Paracha Michpatim : la loi de la majorité

"Aharé Rabbime lehattoth" « la loi de la majorité » est un principe fondamental de la Torah. Dans quel cas s’applique-t-elle ? Comme toute loi aussi bien civile que religieuse, elle nécessite un décret d’application pour déterminer les domaines dans lesquels elle est souveraine.

Un jour, un païen dit à Rabbi Yehoshua ben Korha "Puisque nous sommes la majorité, pourquoi vous Juifs, vous ne vous conduisez pas comme nous ?" Cette question nous est souvent posée dans notre vie quotidienne, à l’école, au travail, dans les réunions d’associations... Rabbi Yehoshua ben Korha avait répondu qu’en définitive, il n'y avait pas dans le monde de véritable majorité et que l'humanité était divisée en une multitude infinie de cultes, de croyances et de conceptions politiques. Ne serait-ce que pour cette raison, il serait difficile d’adhérer à une quelconque majorité. Le Midrach n’est pas satisfait de cette réponse et aujourd'hui, il le serait d’autant moins, qu’il existe des sondages d'opinions et des statistiques dans bien des domaines où il serait aisé de dégager sinon une majorité, du moins une tendance générale qui aurait valeur de majorité. Essayons de comprendre ce concept fondamental de la Torah et d’en définir les limites...

Abraham ha’ivri : Abraham l’hébreu

Lorsque Abraham a été investi de sa mission, il a dû affronter le monde extérieur seul et dans l'isolement. C'est d’ailleurs la signification du nom « hébreu » donné par le Midrach : Abraham était d'un côté et le monde entier de l'autre côté. De même, lorsque l’Eternel se choisit un peuple pour être une "nation de prêtres", il confia à une minorité le soin de garder et de propager la vérité de la Torah. D’après la tradition, c’est sur cette minorité que repose l’avenir de l’humanité, car c’est de cette minorité que naîtra le Messie et bourgeonnera le salut du monde. Or cette minorité ne peut assurer sa pérennité qu’à force d’obstination et de dévouement pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, dans un esprit d’héroïsme permanent, par le seul fait de résister constamment à la pression du grand nombre, pour préserver son identité.

La loi de la majorité n'est pas clairement définie. Elle est déduite d'une formulation négative. En effet, la Torah dit: "Ne suis pas une majorité pour le mal et ne te prononces pas sur un litige en suivant la majorité partiale" Exode 23,2. On peut en déduire clairement qu’il faudrait suivre la majorité lorsqu’il s’agit du bien ou d’une cause juste.

Si une majorité remet en question les principes éthiques ou idéologiques de la Torah, il est évident qu’il ne faut pas suivre une telle majorité. D’ailleurs, telle a toujours été l'attitude du peuple juif face aux autres nations de l’humanité et face à ses "détracteurs" à l'intérieur même du peuple juif lui-même.

Halakha et démocratie

Cette question de la loi de la majorité est d'une brûlante actualité, surtout en Israël où tous les juifs n'ont pas la même conception de la vie juive. Au nom de la majorité, doit-on accepter certains remaniements de la loi d'essence divine et réprimer les agissements d'une minorité de « fous de Dieu » ! En d’autres termes, le caractère divin de la Torah peut-il s’accommoder avec l’esprit démocratique des Israéliens ? Pour résoudre ce problème et donner la tendance générale de la Torah, Rachi profite de l'écriture inhabituelle du mot RiV désignant "le litige" pour le lire RaV, le maître, le grand. Ce qui donne : « Tu ne te prononceras pas contre le plus grand » c'est à dire « tu ne dois pas donner un avis contraire à celui du membre le plus éminent du Tribunal ».

On voit se profiler derrière cette lecture de Rachi, tout l'édifice du judaïsme fondé sur l’autorité du maître, qui représente en quelque sorte l'autorité divine. Cette idée est exprimée clairement dans le texte de la Torah où le juge et l'autorité judiciaire sont désignés par le mot «dieu»: Elohim. A propos de l’esclave hébreu qui refuse d’être affranchi au bout de la sixième année parce qu’il veut rester au service de son maître, il est écrit "Vehiguisho adonave el haélohim" "et son maître l'amènera vers Dieu c’est-à-dire au tribunal ».

A chaque époque, des idées se font jour sur la manière de comprendre et de pratiquer le judaïsme. Si une majorité libérale se dégageait aujourd’hui au sein du peuple juif, doit-on pour autant déclarer qu'il s'agit de l'expression d’un judaïsme authentique ? La Torah répond sans équivoque que ce n'est pas le peuple qui définit la doctrine, même s'il arrive à un consensus majoritaire. Lorsqu'on parle de majorité, dans l’esprit de la Torah il s'agit d’une majorité sélective. Seules des autorités religieuses compétentes et fidèles à la Tradition peuvent se prononcer sur les questions de doctrine religieuse et leur évolution.

Grand Rabbin Jacques Ouaknin

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