Hommage au Grand Rabbin Pierre-Yves BAUER (zal)
Discours prononcé par le Grand Rabbin de Paris, Michel Gugenheim lors de l'inhumation à Jérusalem au Har Hamenou'hot le mercredi 17 décembre 2014
Le Rabbinat français est en deuil.
La communauté juive de France est en deuil.
A la veille de 'Hanouca, une lumière a disparu.
Le Rav Naftali ben Chelomo, le Grand Rabbin Pierre-Yves Bauer, a été arraché à l'affection des siens.
A son épouse, avec laquelle il formait un couple si soudé – vraiment une seule entité - et qui est si forte, si courageuse, si vaillante et pétrie de émouna, à ses deux filles dont il était si fier, à ses parents qu'il aimait tant et qui l'aimaient tant, à son frère et à sa sœur avec qui il formait une équipe formidable, à ses beau-frère et belle-sœur, à ses oncle et tante, cousins et cousines, à toute sa famille nous voulons dire toute la part que nous prenons à leur peine.
Aujourd'hui, premier jour de 'Hanouka, il est interdit de prononcer un hesped, une oraison funèbre sauf, précise le Choul'han Aroukh, s'il s'agit d'un 'hakham, d'un sage, et en sa présence; avec l'autorisation des Rabanim ici présents, je souhaite reconnaître à Rav Bauer la qualité de 'hakham. De toute façon, notre objectif n'est pas ici de raviver la douleur, mais au contraire de mettre un peu de baume au cœur, et aussi de nous renforcer par l'exemple qu'il nous a laissé.
J'ai dit qu'une lumière a disparu, mais non qu'elle s'est éteinte: " l'âme humaine est une lumière divine", elle ne saurait s'éteindre. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on allume toujours une veilleuse lorsque survient un décès. Cette lumière s'est juste déplacée dans un monde meilleur et là-haut, en ce moment, elle brille et resplendit de tous ses feux!
On a déjà, et à juste titre, retracé les principales lignes de sa trop courte existence: on a mentionné son séjour inoubliable à la Yechiva d'Aix-les-Bains, puis sa formation à l'Ecole rabbinique de la rue Vauquelin. C'est là que nous avons fait connaissance, étudiant ensemble toute la semaine Guemara et Halakha, durant cinq années.
Depuis, nos liens n'ont fait que se renforcer. On a rappelé son activité à Reims, à Strasbourg, en Allemagne comme aumônier militaire, et qu'il se préoccupait du sort de chaque soldat. Puis son retour dans la région parisienne où il a assumé les missions et les responsabilités les plus diverses: au sein de l'Aumônerie des Armées, de celle des prisons, dont il était l'Aumônier général au niveau national; comme secrétaire particulier du Grand Rabbin de France, le Grand Rabbin Sitruk; comme expert et formateur en matière de chaatnez…
Mais on n'a pas dit que durant toutes ces années parisiennes, et malgré l'ampleur de ses tâches qui, avec la conscience professionnelle qui était la sienne, devait l'occuper nuit et jour, il a tenu à venir tous les matins de la semaine à l'Ecole rabbinique comme auditeur libre, pour y suivre les cours de Talmud et de Droit rabbinique! Ce n'est que lorsqu'il a commencé à s'investir dans la cacherout des mikvaot, et qu'il s'est avéré important que les lois du mikvé n'aient plus de secret pour lui, qu'il a quitté la rue Vauquelin pour étudier à la place auprès d'un maître spécialisé toutes les sources de ces lois, depuis la Michna jusqu'aux décisionnaires contemporains. Ainsi, le Rav Bauer était un authentique oved hachem, un véritable serviteur de D., et il tenait à consacrer chaque jour une partie conséquente de la journée à l'étude de la Torah. Aumônier, il était soldat, mais il était, avant tout, soldat de Hachem: pour lui," la consigne c'est la consigne", on ne discute pas les ordres divins. De là la rigueur qu'il mettait dans l'accomplissement de chaque mitsva, s'interdisant notamment toute forme de lachon hara.
Je dois rajouter qu'il était un véritable génie. Il avait reçu de D. des dons particuliers. Il les a mis au service de la Torah. Ainsi, c'est tout seul qu'il a acquis son expertise en chaatnez, effectuant ses propres recherches, interrogeant les fabricants de textile et les spécialistes en ce domaine. Puis il est parti en Israël pour soumettre ses connaissances et se faire certifier. Ses examinateurs ont été stupéfiés d'un tel niveau de connaissances de la part d'une personne qui n'avait jamais reçu la moindre formation.
De même pour les mikvaot. Il n'avait pas son pareil pour détecter des erreurs ou des malfaçons susceptibles d'entacher la cacherout d'un mikvé. Jamais il ne le disait, mais de tels défauts avaient pu échapper à des Rabanim, qui sont avant tout des hommes de livres; alors que lui était aussi un homme de terrain.
Pour le judaïsme français, sa disparition crée un vide béant, qu'il sera bien difficile de combler.
Dynamique, plein de zèle; rigoureux; discret,simple et modeste; il avait également un caractère particulièrement noble, délicat, et raffiné. Tous ceux qui l'ont rencontré en ont été frappés…
Dans le Midrach Kohélet (5,18), il est rapporté que lorsque Rabbi Boun, fils de Rabbi 'Hiya, est décédé, Rabbi Zéra est venu et lui a appliqué un verset de Kohélet: " Doux est le sommeil du travailleur" – qu'il comprenait ainsi : doux est le sommeil de la mort pour celui qui a été actif de son vivant. "Un roi possédait un vignoble, et engagea des ouvriers pour y travailler. Il y avait parmi eux un ouvrier qui surpassait les autres de manière incroyable. Que fit le roi? Il le prit par la main et se promena avec lui des heures durant. Le soir venu, les ouvriers se présentèrent pour recevoir leur salaire. Tout le monde reçut un salaire entier. Les ouvriers s'insurgèrent : nous avons travaillé toute la journée, alors que lui n'a travaillé que deux heures, et tu lui donnes un salaire entier ?! Le roi leur répondit : mais il a fait en deux heures plus que ce que vous avez réussi à faire en toute une journée! De même Rabbi Boun a étudié en 28 ans plus de Torah que ne peut étudier le meilleur des étudiants en cent années!"
Ainsi du Grand Rabbin BAUER :" Naftali est une gazelle élancée". Son nom fut pour lui un programme de vie : il vivait à 200 à l'heure, multipliant les actions et les prises de responsabilités. Au point d'avoir achevé sa mission et d'être rappelé pour recevoir son salaire. Aujourd'hui, alors qu'il a rejoint sa mère qu'il avait perdue à l'âge de trois ans, il connaît sans nul doute un bonheur infini ; cette idée pourra aider ceux qui restent à se reconstruire. Mais je voudrais aussi redire à son épouse et à ses filles qu'elles ne mesurent probablement pas à quel point cette épreuve les a transfigurées, et combien elles se sont élevées dans la sainteté; je tiens à leur exprimer ici toute mon affection et mon admiration.
Et pour finir, je rappellerai que Rav Bauer était également un grand disciple de Rav Wolbé zatsal. Moi aussi je l'ai été physiquement, lui l'a été seulement par l'étude approfondie de ses livres.
Or Rav Wolbé enseigne qu'après la mort, du fait que l'âme n'est plus enserrée dans un corps, elle a la capacité de se rapprocher de ses proches plus encore que durant son vivant. Vous n'aurez qu'à penser intensément à lui, et vous le sentirez tout près de vous. Continuez à lui ressembler et à vous inspirer de son exemple, et lui, de son côté, ne manquera pas d'appeler sur vous la bénédiction divine.
Tihyé nafcho tseroura bitsror ha'haym.
Le Rabbinat français est en deuil.
La communauté juive de France est en deuil.
A la veille de 'Hanouca, une lumière a disparu.
Le Rav Naftali ben Chelomo, le Grand Rabbin Pierre-Yves Bauer, a été arraché à l'affection des siens.
A son épouse, avec laquelle il formait un couple si soudé – vraiment une seule entité - et qui est si forte, si courageuse, si vaillante et pétrie de émouna, à ses deux filles dont il était si fier, à ses parents qu'il aimait tant et qui l'aimaient tant, à son frère et à sa sœur avec qui il formait une équipe formidable, à ses beau-frère et belle-sœur, à ses oncle et tante, cousins et cousines, à toute sa famille nous voulons dire toute la part que nous prenons à leur peine.
Aujourd'hui, premier jour de 'Hanouka, il est interdit de prononcer un hesped, une oraison funèbre sauf, précise le Choul'han Aroukh, s'il s'agit d'un 'hakham, d'un sage, et en sa présence; avec l'autorisation des Rabanim ici présents, je souhaite reconnaître à Rav Bauer la qualité de 'hakham. De toute façon, notre objectif n'est pas ici de raviver la douleur, mais au contraire de mettre un peu de baume au cœur, et aussi de nous renforcer par l'exemple qu'il nous a laissé.
J'ai dit qu'une lumière a disparu, mais non qu'elle s'est éteinte: " l'âme humaine est une lumière divine", elle ne saurait s'éteindre. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on allume toujours une veilleuse lorsque survient un décès. Cette lumière s'est juste déplacée dans un monde meilleur et là-haut, en ce moment, elle brille et resplendit de tous ses feux!
On a déjà, et à juste titre, retracé les principales lignes de sa trop courte existence: on a mentionné son séjour inoubliable à la Yechiva d'Aix-les-Bains, puis sa formation à l'Ecole rabbinique de la rue Vauquelin. C'est là que nous avons fait connaissance, étudiant ensemble toute la semaine Guemara et Halakha, durant cinq années.
Depuis, nos liens n'ont fait que se renforcer. On a rappelé son activité à Reims, à Strasbourg, en Allemagne comme aumônier militaire, et qu'il se préoccupait du sort de chaque soldat. Puis son retour dans la région parisienne où il a assumé les missions et les responsabilités les plus diverses: au sein de l'Aumônerie des Armées, de celle des prisons, dont il était l'Aumônier général au niveau national; comme secrétaire particulier du Grand Rabbin de France, le Grand Rabbin Sitruk; comme expert et formateur en matière de chaatnez…
Mais on n'a pas dit que durant toutes ces années parisiennes, et malgré l'ampleur de ses tâches qui, avec la conscience professionnelle qui était la sienne, devait l'occuper nuit et jour, il a tenu à venir tous les matins de la semaine à l'Ecole rabbinique comme auditeur libre, pour y suivre les cours de Talmud et de Droit rabbinique! Ce n'est que lorsqu'il a commencé à s'investir dans la cacherout des mikvaot, et qu'il s'est avéré important que les lois du mikvé n'aient plus de secret pour lui, qu'il a quitté la rue Vauquelin pour étudier à la place auprès d'un maître spécialisé toutes les sources de ces lois, depuis la Michna jusqu'aux décisionnaires contemporains. Ainsi, le Rav Bauer était un authentique oved hachem, un véritable serviteur de D., et il tenait à consacrer chaque jour une partie conséquente de la journée à l'étude de la Torah. Aumônier, il était soldat, mais il était, avant tout, soldat de Hachem: pour lui," la consigne c'est la consigne", on ne discute pas les ordres divins. De là la rigueur qu'il mettait dans l'accomplissement de chaque mitsva, s'interdisant notamment toute forme de lachon hara.
Je dois rajouter qu'il était un véritable génie. Il avait reçu de D. des dons particuliers. Il les a mis au service de la Torah. Ainsi, c'est tout seul qu'il a acquis son expertise en chaatnez, effectuant ses propres recherches, interrogeant les fabricants de textile et les spécialistes en ce domaine. Puis il est parti en Israël pour soumettre ses connaissances et se faire certifier. Ses examinateurs ont été stupéfiés d'un tel niveau de connaissances de la part d'une personne qui n'avait jamais reçu la moindre formation.
De même pour les mikvaot. Il n'avait pas son pareil pour détecter des erreurs ou des malfaçons susceptibles d'entacher la cacherout d'un mikvé. Jamais il ne le disait, mais de tels défauts avaient pu échapper à des Rabanim, qui sont avant tout des hommes de livres; alors que lui était aussi un homme de terrain.
Pour le judaïsme français, sa disparition crée un vide béant, qu'il sera bien difficile de combler.
Dynamique, plein de zèle; rigoureux; discret,simple et modeste; il avait également un caractère particulièrement noble, délicat, et raffiné. Tous ceux qui l'ont rencontré en ont été frappés…
Dans le Midrach Kohélet (5,18), il est rapporté que lorsque Rabbi Boun, fils de Rabbi 'Hiya, est décédé, Rabbi Zéra est venu et lui a appliqué un verset de Kohélet: " Doux est le sommeil du travailleur" – qu'il comprenait ainsi : doux est le sommeil de la mort pour celui qui a été actif de son vivant. "Un roi possédait un vignoble, et engagea des ouvriers pour y travailler. Il y avait parmi eux un ouvrier qui surpassait les autres de manière incroyable. Que fit le roi? Il le prit par la main et se promena avec lui des heures durant. Le soir venu, les ouvriers se présentèrent pour recevoir leur salaire. Tout le monde reçut un salaire entier. Les ouvriers s'insurgèrent : nous avons travaillé toute la journée, alors que lui n'a travaillé que deux heures, et tu lui donnes un salaire entier ?! Le roi leur répondit : mais il a fait en deux heures plus que ce que vous avez réussi à faire en toute une journée! De même Rabbi Boun a étudié en 28 ans plus de Torah que ne peut étudier le meilleur des étudiants en cent années!"
Ainsi du Grand Rabbin BAUER :" Naftali est une gazelle élancée". Son nom fut pour lui un programme de vie : il vivait à 200 à l'heure, multipliant les actions et les prises de responsabilités. Au point d'avoir achevé sa mission et d'être rappelé pour recevoir son salaire. Aujourd'hui, alors qu'il a rejoint sa mère qu'il avait perdue à l'âge de trois ans, il connaît sans nul doute un bonheur infini ; cette idée pourra aider ceux qui restent à se reconstruire. Mais je voudrais aussi redire à son épouse et à ses filles qu'elles ne mesurent probablement pas à quel point cette épreuve les a transfigurées, et combien elles se sont élevées dans la sainteté; je tiens à leur exprimer ici toute mon affection et mon admiration.
Et pour finir, je rappellerai que Rav Bauer était également un grand disciple de Rav Wolbé zatsal. Moi aussi je l'ai été physiquement, lui l'a été seulement par l'étude approfondie de ses livres.
Or Rav Wolbé enseigne qu'après la mort, du fait que l'âme n'est plus enserrée dans un corps, elle a la capacité de se rapprocher de ses proches plus encore que durant son vivant. Vous n'aurez qu'à penser intensément à lui, et vous le sentirez tout près de vous. Continuez à lui ressembler et à vous inspirer de son exemple, et lui, de son côté, ne manquera pas d'appeler sur vous la bénédiction divine.
Tihyé nafcho tseroura bitsror ha'haym.
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